lundi 9 mars 2015

Pays de Montbéliard : onze ans après la disparition inexpliquée de sa femme, la loi l’empêche de refaire sa vie

Sa vie a basculé ce 10 mars 2004. Et fait, pour ainsi dire du sur place depuis. S’il fallait un symbole de l’immobilisme, ce pourrait être le jardin du pavillon familial de Seloncourt, qui n’a subi aucune intervention humaine depuis plus d’une décennie.
Ce mercredi 10 mars 2004, donc, sa femme, Odile Laurency, prend, comme chaque matin, la direction de la Suisse où elle œuvre au sein d’une entreprise horlogère. Qu’elle quitte précipitemment vers 8h30, en pleurs selon des témoins, prétextant un rendez-vous chez le médecin. Où elle ne se rendra jamais. Sa voiture est retrouvée, par son mari Denis, en toute fin d’après-midi, garée au bord du Doubs, dans un champ de Longevelle-sur-le-Doubs où le couple venait naguère planter, avec leur fille, la tente pour y passer des moments estivaux de détente. À l’intérieur du véhicule fermé, sac et portable. Rien d’autre et surtout pas le mot qui viendrait peut-être tout éclaircir. Le chien des gendarmes pointe deux fois au bord de la rivière. Comme si Odile Laurency, qu’un témoin a vu arpenter les berges en début de matinée, avait terminé sa route ici, dans une eau à 4°C. Dans l’enquête ouverte pour disparition, Denis, l’époux, est naturellement le premier suspect. Lui n’imagine même pas une seconde que la mère de sa fille, alors âgée de 16 ans, puisse avoir sombré dans les eaux gelées du Doubs. D’autant que rien, sauf a posteriori, ne laissait entrevoir une éventuelle souffrance intérieure. « Je pensais qu’elle était chez une copine ».
« J’espérais ne pas tomber sur elle »
Hélicoptère, plongeurs professionnels, battue dans les bois. Rien n’y fait. Aucune trace du corps d’Odile Laurency. En quête duquel Denis part, à son tour. Il va plonger tous les jours au cours des deux semaines suivant la disparition, puis y passer tous les week-ends. Avec, cependant, quelque chose tout autant paradoxal qu’inavouable au fond de lui : « J’espérais ne pas tomber sur elle ». Les seize radiesthésistes sollicités par la mère de la disparue vont conduire Denis ici et là. En vain. Et puis, au début de l’été, happé par les turbines d’un barrage, Denis échappe à ce qui a failli le conduire à une mort certaine. « Là, j’ai dit stop, on arrête ». Mais, dit-il, « on a continué d’espérer » à quelque chose. « Je suis sûr à 95 % qu’elle est dans l’eau, mais il reste 5 % ». Cette infime incertitude, due à l’absence de preuve formelle, l’enferme depuis dans un immobilisme dévastateur. L’évaporation de son épouse l’ayant privé d’un salaire, les traites de la maison et celles d’un investissement locatif réalisé en banlieue parisienne le poussent vers la commission de surendettement. Son existence s’apparente alors à de la survie, grâce à l’appui de sa famille. Onze ans plus tard, rien n’a changé. Certes, Denis est en passe de refaire sa vie amoureuse, mais il reste accroché à son douloureux passé comme à cette femme qui s’est évaporée ce 10 mars 2004. Car Denis Laurency est toujours marié et ses principaux biens sont toujours aux deux noms, barrant toute perspective de vente. « Je pense aussi à ma fille s’il venait à m’arriver quelque chose ».
À ce jour, la succession s’avère impossible dans la mesure où Odile Laurency n’est pas officiellement décédée. Un jugement en ce sens n’assécherait certes pas l’incertitude sur son sort, mais, symboliquement, voilà qui viendrait définitivement projeter son mari dans un avenir, qu’il reprend tout juste goût à écrire…
http://www.estrepublicain.fr/justice/2015/03/08/pays-de-montbeliard-onze-ans-apres-la-disparition-inexpliquee-de-sa-femme-la-loi-l-empeche-de-refaire-sa-vie

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