vendredi 4 juillet 2014

HAUTE-SOMME «Je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi l’enfer que je vis»

Sabrina Defosse n’oubliera jamais ce coup de fil. Le dernier. «  Allô maman, c’est moi. Vous faites quoi ? Un barbecue ? Attendez-moi, je vais reprendre la route. Tout va bien. J’arrive bientôt.  »
Nous sommes le vendredi 5 juillet 2013. Il est un peu plus de 20 heures quand sa fille Cassandra l’appelle. La jeune femme va fêter ses 20 ans 18 jours plus tard. Elle est fiancée depuis 2 mois à Benoît, avec qui elle forme un couple fusionnel. Gendarme, elle est en permission et elle rentre chez ses parents, à Rethonvillers.
À 20 h 45, alors que la bonne humeur et les rires ont envahi la terrasse ensoleillée, à l’arrière du pavillon familial, le téléphone sonne. À l’autre bout du fil, Sabrina entend un membre de sa famille : «  Il vient d’y avoir un grave accident sur la 4 voies entre Bouchoir et Roye. C’est une gendarmette. J’ai essayé de me renseigner mais ils ne veulent rien me dire.  » Sabrina s’arrête de parler et fond en larmes.
Après de longues minutes de silence, elle revient sur cet instant qui a fait basculer sa vie. «  J’ai demandé à mon mari d’aller voir. Je ne voulais pas y croire. Ça ne pouvait pas être Cassandra. Pas ma Cassou. Une heure plus tard, j’ai vu Laurent rentrer, entouré par un pompier et un gendarme, qui m’a regardé et fait oui de la tête.  »
Sabrina a dû faire face au choc, aux funérailles, puis au quotidien, comme quand elle rentre dans la chambre de Cassandra, laissée en l’état. «  À part quand je fais le ménage, personne n’a touché à rien.  » Son mari a repris le travail et Sabrina doit se battre chaque jour.
«  Heureusement que je ne suis pas seule, avec ma petite fille Andréa. Il y a toujours quelqu’un avec moi, mes sœurs, mes parents, les amis de Cassandra, ou Benoît, qui est là tous les jours. Je me raccroche à lui. Il a 20 ans, il vit un drame qu’il ne mérite pas. C’est tellement un bon p’tit mec.  »
Et Sabrina a dû faire face des difficultés. Dans l’accident, les affaires de Cassandra sont restées dans la Clio broyée : son téléphone, son sac et ses vêtements, ses papiers. «  Il a fallu se battre pour tout récupérer auprès du garagiste de Roiglise. Mais au moins, on a récupéré ses affaires qui sont désormais dans sa chambre. Pour moi, c’était un besoin, une nécessité, un impératif.  »
Sabrina se confie pour la première fois, sous le regard d’Olivia, la meilleure amie de sa fille, de sa sœur, et de deux amies. «  Ça fait plaisir de te voir enfin parler un peu  », sourit Olivia. Car Sabrina le reconnaît : «  Laurent, lui, en a besoin. Moi je n’arrive pas à en parler. On a rencontré les parents du jeune Maxime, qui s’est tué à Roye le lendemain de Cassandra. Je les écoute parler de leur fils. Ils comprennent ce qu’on vit. Et ce qu’on vit, c’est une situation évitable.  »

« Quand je conduis, je vois des choses hallucinantes »

Sabrina a appris qu’en début de semaine, un hommede 24 ans s’est tué sur la route, entre Péronne et Roisel. «  À chaque fois que je lis un article de ce genre, je constate qu’on pouvait éviter ce drame. Il faut que les jeunes en prennent conscience. Qu’ils ne prennent pas d’alcool s‘ils doivent conduire. Qu’ils respectent les limitations de vitesse. S’ils sont fatigués, qu’ils se reposent. C‘est quoi 5 minutes de repos à côté d’une vie qui s’éteint, de vies de proches gâchées. Quand je conduis, je vois des choses hallucinantes de la part de certains jeunes abrutis avec un A au cul. Cassandra était prudente, elle faisait attention mais elle est morte : l’enquête a conclu qu’elle s’était endormie au volant. Et quand je vois tous ces jeunes qui jouent avec leur vie et qu’il ne leur arrive rien, je deviens méchante.  »
Un an après la mort de sa fille, et alors qu’elle s’apprête à traverser un premier anniversaire on ne peut plus difficile, Sabrina commence à peine à vomir son mal-être mais elle ne pense pas à l’avenir. «  Je vis au jour le jour. Je n’ai plus le goût à rien, tout le monde m’énerve. Je ne vis que pour mes deux autres enfants. Je suis fatiguée d’avoir mal et j’attends toujours que Cassandra revienne. Je fais un cauchemar et je vais me réveiller. Quand j’entends une voiture ralentir, je me dis qu’elle va en descendre. Je l’entends marcher dans la maison. Je la vois alors qu’elle n’est pas là. Je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi l’enfer que je vis, tellement il est dur. J‘espère que mon témoignage calmera les fous du volant, en leur faisant prendre conscience de ce qu’ils feraient vivre à leurs parents en cas de drame.  »

http://www.courrier-picard.fr/region/haute-somme-je-ne-souhaiterais-pas-a-mon-pire-ennemi-ia182b0n399766

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