Si les barons du cartel de Medellín connaissaient mieux leur géographie, au moins se soucieraient-ils davantage du bilan carbone. Car, à ne jurer que par Rotterdam pour débarquer le produit clandestin de leur terroir, ceux-là passent à côté d’une filière aussi courte que prospère. Ainsi, sauraient-ils que l’île de Ré, entre autres, pourrait être une destination d’été de leur cocaïne.
L’épisode se déroule derrière les hautes grilles d’une demeure secondaire où la bienséance autant que l’obséquiosité calculée vous conduisent parfois à convier un élu local. Las, de cocktails en ripailles, voilà que celui-ci voit soudain la paille, non dans l’œil du voisin, mais dans son nez. « Un tas de poudre blanche en libre-service était posé bien en évidence sur la table », raconte un témoin de cette drôle de scène que l’élu quitta aussitôt.
Aux audacieux les mains pleines de cocaïne. Car à l’ombre des vendeurs de chichis, le dealer des plages est hélas ici devenu un saisonnier presque comme les autres. Longtemps considérée comme une légende ruralo-urbaine, la délocalisation de petits caïds parisiens ne souffre plus aujourd’hui aucun doute judiciaire. Parmi les affaires dernièrement remontées à la surface de l’île, la plus éloquente se joue en août 2009, lorsqu’une banale interpellation de fumeurs en herbe amène les gendarmes à démanteler une filière spécialement destinée à poudrer le nez des vacanciers. « Au-delà des 400 grammes de cocaïne saisis, nous avions surtout coincé deux Parisiens désœuvrés, des frères jumeaux embauchés pour l’été », explique un enquêteur. « Cela durait depuis dix ans. Des locaux fournissaient l’hébergement, tandis que deux autres Franciliens se chargeaient régulièrement de l’approvisionnement depuis la capitale. Ça les changeait des cages d’escalier, non ? »
Rien d’autre qu’une petite revanche sur le triste sort de la maréchaussée locale, se désole en substance le chef d’escadron Francis Fradin. Depuis peu à la retraite, l’ancien numéro 2 de la compagnie de La Rochelle laisse ainsi libre cours à l’amertume de ses étés passés. « Je ne compte plus le nombre de fois où des petits mecs de 18 ans m’ont pris de haut en me comparant à un agent de la circulation. » Sans aller jusqu’à brasser dans le même sac chacun de ces nombreux play-boys des bacs à sable, le gendarme évoque à son tour la marée blanche comme une évidence.
Où l’on craint alors l’overdose plus encore que l’hydrocution, tant les embruns iodés ne suffisent plus à déboucher les cloisons nasales d’une partie d’une jeunesse dorée. « Il nous arrivait chaque soir de tomber sur des Parisiens attablés autour d’une bouteille de champagne, un billet de 500 euros dépassant ostensiblement de leur chemise. Mais que faire ? » Faute d’un rarissime flagrant délit, voilà nos gendarmes également fort démunis à l’heure trop tardive du tapage nocturne. « Tout le monde sait que la cocaïne tourne dans les soirées branchées, mais sans preuve et sans ordonnance du juge, il nous est impossible d’entrer entre 22 heures et 6 heures du matin. Alors, on reste au portillon. »
Traditionnellement soupçonnées d’être d’autres hauts lieux de l’inhalation hors-la-loi, les discothèques insulaires ne manquent pas non plus d’égards. Mais c’est peu dire que les gendarmes, contraints de patrouiller en uniforme, n’ont ici guère plus d’influence qu’un Louis de Funès traquant les nudistes, le képi en bandoulière. Au comptoir, Julien ne doute d’ailleurs de rien. « Je ne prends pas de la coke parce que je suis sur l’île de Ré, j’en prends parce que j’ai l’habitude de le faire à Paris, que c’est aussi facile d’en trouver ici, et qu’en plus on a le temps de faire la fête », assume le trentenaire.
Comme l’on ferait suivre son courrier ou son abonnement Internet, certains vont jusqu’à débaucher leur revendeur attitré. « Même en vacances, la plupart des consommateurs connaissent personnellement leur fournisseur », confirme le chef d’escadron. « Vous ne verrez donc presque jamais de vente à la sauvette. La transhumance des dealers parisiens se fait souvent au rythme d’un raid par semaine, avec plusieurs voitures, histoire de ne pas prendre le risque de se faire attraper sur le pont avec une grosse quantité. » Dans les mailles trop larges du filet jeté au large de l’île, les gros poissons naviguent sans trop de mal. « La seule solution, mais elle est utopique, serait d’installer un barrage de douane 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. »
Gare tout de même au procès en antiparisianisme primaire. Doublé d’une lutte des classes inversée, l’amalgame serait trop simple pour être honnête. Pour autant, si l’immense majorité de nos opulents estivants pique évidemment du nez dans un roman plutôt que dans la schnouff, rappelons que la cocaïne - à défaut d’être la drogue du riche - n’est pas encore celle des pauvres. « 65 euros le gramme, contre 35 pour l’héroïne. Et contrairement à ce que l’on entend, son cours ne fait que remonter ces temps-ci », insiste un policier des stups.
http://www.sudouest.fr/2013/07/20/ca-sent-la-poudre-1120294-4697.php
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