Située à l'arrière du Parc bordelais, la rue Frantz-Malvezin ne se laisse pas facilement découvrir. On ne l'emprunte qu'après avoir rebondi de sens interdit en sens unique et s'être joué de quelques bifurcations. Les résidents de ce quartier cossu ne s'en plaignent pas vraiment. Il est toujours facile de garer son véhicule le long de ce paisible ruban de bitume réfractaire à la lèpre galopante des horodateurs qui sévit dans le centre-ville de Bordeaux.
Ciel, ma voiture !
Début juillet, à la veille d'un déplacement professionnel, Paul de Saint-Exupéry avait laissé sa voiture, une Clio verte, sous les fenêtres de son appartement. Elle ne gênait absolument personne. Quelle n'a pas été la surprise de ce consultant automobile à son retour, le 15 juillet au soir. Sa Renault avait disparu. « Le lendemain matin, j'ai interpellé les ouvriers de la Communauté urbaine de Bordeaux qui travaillaient dans la rue. "Soit on vous l'a volée. Soit vous n'avez pas que des amis et quelqu'un vous a dénoncé", m'a lancé l'un d'entre eux. »
La seconde hypothèse était la bonne. Le vendredi 13 en fin de journée, la Clio avait été enlevée sous le regard attentif du mystérieux agent 381 avant de migrer vers la fourrière. Muni de son permis, de sa carte grise et de son certificat d'assurance, Paul de Saint-Exupéry a dû se présenter au commissariat pour obtenir une autorisation de mainlevée. Puis il a réglé les frais de fourrière (166 €) et acquitté une amende de 35 € pour stationnement abusif.
« C'est là que j'ai découvert l'existence du fameux article 417-12 du Code la route. » « Dura lex sed lex ! » La loi est dure, mais c'est la loi. Beaucoup l'ignorent, mais il est interdit de laisser un véhicule pendant plus de sept jours au même endroit sur la voie publique. Même si les horodateurs bordelais prévoient une durée maximale de 15 jours de stationnement pour les résidents. Les agents auraient pu l'avertir en posant un papillon sur son pare-brise ou en lui adressant un courrier. « Nous avons tous énormé- ment d'argent à jeter par la fenêtre. Cela dit, à l'époque où l'on parle de juste effort, le mien a déjà commencé », lâche Paul de Saint-Exupéry, dont l'ironie cache mal l'agacement.
« J'ai été balancé par quelqu'un de la résidence. » Obligation de réserve oblige, la police n'a pas voulu lui en dire davantage. L'identité du corbeau reste aussi bien protégée que le code de la bombe nucléaire. Tout au plus a-t-il pu en apprendre un peu plus sur les méthodes des agents. « Quand ils sont prévenus, ils se déplacent et relèvent le positionnement des valves des roues. Sept jours plus tard, ils reviennent pour vérifier si elles ont bougé ou non. » Autant dire que le consultant automobile était dans le collimateur de l'un de ses voisins qui le surveillait sans doute depuis plusieurs mois.
Un charmant voisin
Comment aurait-il pu éventer le coup fourré ? La police municipale n'a guère l'occasion de patrouiller rue Frantz-Malvezin. Il n'est pas rare qu'un véhicule y fasse parfois du surplace pendant plus d'une semaine. Sans qu'aucun riverain crie au scandale. Alors, pourquoi lui ? « Le délateur savait parfaitement qu'il serait couvert par l'impunité et cela est une preuve supplémentaire de son courage », écrit-il d'une plume à l'encre amère dans une lettre glissée dans toutes les boîtes aux lettres de l'immeuble.
Que ce charmant voisin sorte du bois est aussi peu probable que de voir le pape faire du surf ! De cette mésaventure subsistera seulement une impression désagréable rappelant les années noires de l'Occupation, lorsque la milice et les kommandanturs croulaient sous les lettres de dénonciation. Paul de Saint-Exupéry peut convoquer ce passé à bon droit. N'est-il pas le fils d'un officier qui avait rallié le général de Gaulle ?
http://www.sudouest.fr/2012/07/30/la-clio-et-le-corbeau-782306-7.php
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