C'est une crise inédite qui secoue le monde de l'audiovisuel privé. Comme le révèle Le Figaro mardi, le groupe Orange a fait savoir lundi qu'il était prêt à "couper le signal des chaînes du groupe TF1", suivant ainsi la décision prise par Canal + jeudi dernier. Idem chez Free qui a expliqué lundi soir dans un message à ses abonnés être prêt à faire de même. Conséquence de ces annonces : le cours en bourse de TF1, qui appartient à Martin Bouygues, a accusé lundi une première baisse (à -2,2%), et ce, malgré les résultats en forte progression du groupe. TF1 avait déclaré la guerre aux distributeurs en 2016 : après près de 18 mois de négociations infructueuses, l'étau se resserre.
L'origine du conflit : un deal imposé par TF1
Début 2016, TF1 reçoit près de 10 millions d'euros par an pour permettre aux distributeurs (Orange, Free, SFR Numericable, CanalSat) de diffuser les chaînes de son groupe. En avril de cette année, le nouveau PDG de la Une, Gilles Pélisson, propose un nouveau deal, bien plus avantageux pour TF1. Le chiffre d'environ 70 millions d'euros par an est alors avancé par BFM Business.
L'objectif : obliger les opérateurs à payer les contenus additionnels de type replay mis à disposition de leurs abonnés. La menace : ne plus autoriser les distributeurs à diffuser les chaînes gratuites du groupe (à commencer par la Une donc) tant qu'ils n'acceptent pas ce nouveau deal. Autrement dit, TF1, même si elle ne l'a jamais formalisé en ces termes, souhaite faire payer aux opérateurs la diffusion de sa chaîne star, gratuite donc. La levée de boucliers est immédiate, et des négociations s'ouvrent.
Un imbroglio économique
A partir de l'automne 2016, s'engage une partie de poker menteur aux enjeux économiques. D'un côté, les distributeurs n'ont pas envie de priver leurs abonnés de la première chaîne de France - en 2017 encore, la Une s'offrait 84 des 100 meilleures audiences. TF1 estime même que la présence des replays de sa chaîne star sur les bouquets SFR ou Orange, par exemple, est utilisé comme un argument de vente d'abonnement à leur box.
Mais de l'autre côté, ne plus diffuser TF1 chez les abonnés Orange, Free ou Canal entraînerait une baisse de son audience. De plus, ces opérateurs sont également des annonceurs qui achètent de l'espace de publicité sur TF1.
Orange, de la patience à la "fronde"
Avec Orange, les relations se tendent rapidement. Après six mois de négociations, Stéphane Richard, le PDG d'Orange (ex-France Télécom), lâche fin avril 2017 à des journalistes en marge d'une conférence de presse : "Je comprends le souhait de TF1 d'avoir plus de revenus, mais où est l'intérêt du consommateur? Soit il y a des contreparties en termes de service, soit il s'agit juste de reverser de l'argent à TF1, et il s'agit d'un impôt privé." Et de menacer : "Orange génère 25% de l'audience de TF1. Est-ce que la chaîne peut s'en priver?" En réponse, Bouygues assure être prêt à retirer le service "My TF1" de la boxe d'Orange, mais ne met finalement pas sa menace à exécution.
En juillet dernier, Stéphane Richard décide de passer à l'offensive sur le plan juridique. Le coup de force de TF1 a révélé un vide juridique : si aucun texte en vigueur ne l'autorise à faire payer une chaîne gratuite, aucune loi ne l'y interdit non plus. Aussi, Orange décide d'assigner TF1 devant le tribunal de commerce pour un motif annexe au conflit : "abus de position dominante dans la télévision et la publicité". Le conflit se gèle et un statu quo est arrêté.
Six mois et plusieurs tours de table passent et, le 17 février dernier dans le JDD, Gilles Pélisson laisse entrevoir une sortie de crise. "Mon vœu, c'est que nous trouvions un accord dans des délais proches", dit-il. Il a reçu une douche froide lundi, Stéphane Richard ayant fait savoir qu'il était "prêt à couper le signal de TF1", comme le révèle Le Figaro de mardi. Le PDG d'Orange évoque, dans les colonnes du quotidien, un "vent de fronde" et rappelle la règle déjà fixée en 2016 : "Orange est opposé au principe d'une rémunération pour distribuer des contenues gratuits."
Canal+ n'a aucun état d'âme
Stéphane Richard a en fait décidé d'emboîter le pas à Canal+. Jeudi dernier, l'opérateur de CanalSat a pris les devants en coupant le signal des chaînes du groupe TF1. Ses abonnés n'ont donc plus accès au 13 heures de Jean-Pierre Pernaut ou au Quotidien de Yann Barthès. Et la répercussion s'est fait sentir très vite : The Voice, par exemple, a perdu 910.000 spectateurs en une semaine. En parallèle, Vivendi, la maison mère de Canal+, a porté plainte mercredi dernier devant le tribunal de commerce pour le même motif qu'Orange l'été dernier.
Depuis 2016, Canal+ refuse l'offre de TF1, mais la chaîne cryptée a attendu début 2018 pour passer à l'offensive, laissant jusque-là une chance aux négociations. C'est le directeur général du groupe Canal+ Maxime Saada, le 2 février sur le site du JDD, qui annonce la couleur : "Nous n'avons aucunement l'intention de céder au chantage et sommes prêts, si nous y sommes contraints, à envisager assez vite une coupure du signal des chaînes gratuites du groupe TF1 sur nos différents supports." Le responsable utilise le même argument que Stéphane Richard : "Rendez-vous compte que TF1 veut faire payer Canal et le consommateur pour ses chaines diffusées gratuitement!" Sauf que Vivendi, contrairement à Orange, a mis sa menace à exécution.
Le groupe TF1 peut-il tenir?
La guerre est moins intense sur le plan médiatique avec Free et SFR Numéricable, mais ces derniers sont bien sur la même ligne qu'Orange et Canal+. Officiellement, Free ne tient pas à communiquer sur le sujet. Mais lundi soir, l'opérateur a diffusé un message limpide à tous les abonnés de sa box : "Depuis plusieurs mois, nous négocions avec le groupe TF1 qui, après 15 ans de distribution sur nos réseaux, a décidé d'exiger une rémunération infondée pour des chaînes disponibles gratuitement en TNT et sur Internet." A partir du 31 mars prochain, date de la fin du contrat Free-TF1, l'opérateur indique alors être "contraint d'interrompre la diffusion de TF1, TMC, TFX, TF1 Séries, HD1 et LCI". Et d'ajouter : "Nous espérons remédier à cette situation rapidement."
Ces menaces commencent à porter leurs fruits. Selon une agence médias citée par Le Figaro, "les annonceurs se posent beaucoup de questions, à commencer par la manière dont ils sont impactés". Françoise Nyssen elle-même a appelé lundi "au sens de la responsabilité" des acteurs de ce dossier. De son côté, TF1 refuse pour l'instant de bouger. "Canal + a quitté la table des négociations, n'inversons pas les rôles, indique ainsi une source au quotidien. Nous n'avons pas peur, notre démarche est légitime et nous sommes sûrs de la valeur de nos programmes."
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