lundi 20 octobre 2014

L'appel déchirant d'une mère : «Rendez-moi mes deux filles»

Une maisonnette dans un lotissement anonyme de la périphérie tarbaise. Dans le jardin, un tricycle et un petit vélo immobiles. Au salon, des jouets muets. Plein de rose, mais sans petites filles pour y inventer des contes de fée. Assise sur le canapé, Sandrine (1), 34 ans, les traits tirés par une nuit blanche, s'occupe de son bébé. «Il est né le 1er octobre. Son père était très fier, c'était notre premier garçon. Mais il a profité que j'étais à l'hôpital pour m'abandonner et partir avec nos deux filles au Maroc. Il voulait rejoindre ensuite la Syrie via la Turquie…», résume-t-elle.
Regard clair, coupe de cheveux soignée, aucun signe religieux ostentatoire, ni sur elle ni dans la maison… L'islam, elle avait accepté de s'y convertir, pour lui. Mais elle, elle n'a jamais basculé. «Lui, par contre, je l'ai vu se radicaliser et malgré mes efforts, mes mises en garde, je n'ai rien pu faire», constate-t-elle.
L'histoire de Sandrine et Malik ? C'est en Espagne qu'elle rencontre ce jeune chauffeur routier marocain, il y a cinq ans. «Il était très agréable, très souriant et il avait un très bon contact avec tout le monde». Elle est amoureuse lorsqu'elle se marie avec lui, en 2010 et qu'ils s'installent dans les Hautes-Pyrénées. 2010, l'année de naissance de leur première fille à Tarbes, le 1er novembre. Suivie un an et demi plus tard d'une petite sœur. «Nos trois enfants, on les a désirés», souligne Sandrine.
«Ma conversion à l'islam ? Il m'en a parlé dès le début et ça me posait problème. Je ne voulais pas mettre le voile et j'avais peur qu'il change de caractère. J'avais raison, ça a fini par arriver», enchaîne-t-elle. Elle n'en a pas moins fait ce pas vers lui. Elle a commencé à s'instruire à la mosquée de sa propre initiative, «le seul endroit où je mettais le voile», précise-t-elle.
«Mais quand j'ai commencé à me convertir, lui est devenu plus dur, plus agressif, plus violent. Pour lui, ma conversion n'allait pas assez vite ni assez loin, il voulait me forcer à mettre le voile». Lorsqu'elle a parlé de ses exigences autoritaires à la mosquée, on l'a mise en garde. Le cheminement vers la foi est individuel. Il n'avait aucun droit de lui imposer quoi que ce soit. Elle a commencé à avoir des doutes sur ce que devenait son mari.
«C'est vers l'été 2013 qu'il a vraiment changé», reprend-elle. Changement remarqué aussi, du côté de la mosquée. «Avant, c'était un garçon sympa, rieur, il participait, donnait un coup de main en cuisine pour le ramadan, faisait du bénévolat, puis il est de moins en moins venu et cette année, pour le ramadan en juillet, il n'y était pas», précise quelqu'un qui le connaissait, consterné. De fait, la «haine des mécréants» s'est installée. «De tout le monde, y compris des musulmans qui ne pratiquaient pas comme lui», précise Sandrine.
Lorsqu'ils sont partis en octobre 2013 avec leurs deux filles au Maroc, chez les beaux-parents… «Il m'a imposé de me couvrir entièrement, chaussettes comprises pour les pieds. Dès qu'on croisait une femme totalement voilée, il disait «elle est trop belle !». Même sa famille lui disait de se calmer, qu'il allait trop loin». Ils y restent six semaines. Premier sérieux avertissement…
«En fait, il m'a alors dit qu'il voulait qu'on vende tout, qu'on s'installe chez ses parents et que de là, lui partirait en Syrie parce que c'était son devoir de défendre ses frères. Il s'est laissé pousser la barbe, s'est mis à porter le sarouel.»
Au retour ? Il y a le rappel à l'ordre de l'école, quant à la scolarisation obligatoire de l'aînée. Et Sandrine qui essaye de reprendre la main. «Mais tous les jours, il restait sur facebook jusqu'à trois heures du matin, c'est là qu'ils doivent les endoctriner, les recruter. Sa haine devenait globale, pour tout il était très énervé, tout le temps, parfois violent. Il était là mais il n'était plus présent. Il verrouillait son portable avec des codes secrets. Je lui ai rappelé que son premier devoir était de s'occuper de ses enfants en bas âge, mais il s'en fichait. En juillet, on a déménagé. Il m'a dit qu'il faisait des intérims, qu'il avait une promesse d'embauche. J'étais enceinte. Il disait alors reculer jusqu'après septembre le travail pour pouvoir rester avec moi, m'aider. Mais il ne faisait rien à la maison. En fait il mentait sur tout, tout le temps».
Ordinateur, téléphone portable, il ne déconnecte plus. Et Sandrine repère qu'une femme fait désormais partie des échanges. «Il négociait sans doute déjà son mariage coutumier pour partir en Syrie vers sa nouvelle vie», analyse-t-elle aujourd'hui.
«Le 1er octobre, j'ai donc accouché. Il était très heureux. Un fils ! Mais aussi l'occasion qu'il attendait. Il m'a dit qu'il devait aller au Maroc récupérer des papiers pour être naturalisé, mais aussi que sa mère était mourante et qu'il partirait avec les filles parce qu'elle voulait les voir. J'étais à l'hôpital avec le petit, je ne pouvais rien faire. Je l'ai juste prévenu que si au bout de dix jours il n'était pas rentré, j'alerterais les autorités».
Tous les jours, il l'a appelée. «Trop, même, ça en devenait suspect alors que d'habitude, il n'en avait rien à faire de me donner des nouvelles». Et puis l'échéance imposée du retour arrivant, il lui a expliqué que leur fourgonnette était tombée en panne… Mais ses explications n'étaient pas claires, il se contredisait. Elle a haussé le ton. Il a promis que tout était réparé, qu'il partirait le jeudi. Il était visiblement surveillé et sur écoute. Le mercredi après-midi, il était arrêté à l'aéroport.
Lorsque cette nuit-là, elle a eu sa belle-mère en larmes au téléphone, l'accusant avec ses rares mots de français d'avoir appelé la police «alors que son fils, il n'avait rien fait», elle n'a «rien compris». Elle le croyait déjà prêt pour le retour en France. «Il m'avait dit «je demande à ma mère de faire les valises»». C'est le lendemain, lorsqu'elle a eu l'appel d'un journaliste marocain qu'elle a réalisé. «Heureusement que la police marocaine l'a arrêté, sans elle, je ne revoyais plus jamais mes filles. Qu'est-ce qu'il aurait fait d'elles là-bas, en Syrie ?», lâche-t-elle.
Seulement voilà, «encore une fois il a dû mentir en disant que lui, le père, avait autorité sur nos enfants». Les deux petites Françaises ont été confiées au grand-père paternel, ancien gendarme, papier officiel à la clé. «Sans doute ont-ils cru bien faire, mais c'est le Consulat qui aurait dû les récupérer pour que je vienne les chercher», précise Sandrine, catastrophée, soupçonnant désormais la belle famille de vouloir faire des enfants un enjeu pour qu'elle témoigne en faveur de leur fils, «alors qu'il doit assumer». Et qu'il y a surtout urgence pour elles, à ce qu'elles rentrent en France.
«Aucune des deux ne parle arabe. La petite a de graves problèmes de santé, elle souffre d'un retard de croissance à tous les niveaux, elle ne parle pas, elle est suivie par des spécialistes. Elle souffre d'allergies et je suis sûre qu'ils ne lui donnent pas son traitement. Elle a un problème cardiaque, aussi et doit voir bientôt le cardiologue à Toulouse. Je sais qu'elle ne fait que pleurer car elle ne peut pas communiquer autrement. Là-bas, les grands-parents ne se rendent vraiment pas compte de ce qu'elle a», s'inquiète Sandrine. L'aînée ? «Elle est aussi perturbée, elle manque l'école». Le 1er novembre, elle aura 4 ans. L'éventuelle perspective de cet anniversaire sans ses deux filles, c'est la goutte de trop pour Sandrine.
(1) Par soucis d'anonymat et dé sécurité, tous les prénoms ont été changés.

http://www.ladepeche.fr/article/2014/10/20/1975623-appel-dechirant-mere-rendez-deux-filles.html

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