Au printemps 2007, elle n'avait pas 20 ans la première fois qu'elle a vu la France. Jeune mariée et enceinte de trois mois, elle n'avait pas fait ce long voyage depuis la Guinée pour visiter Marseille.
De la cité phocéenne, elle n'a guère vu plus que le cabinet d'un avocat et la morgue de l'institut médico-légal, où était gardé ce qu'il restait du cadavre supplicié de son jeune époux, Ibrahima Sylla. "Je n'ai pas voulu le voir. Je voulais garder dans ma tête son image intacte", raconte Kadiatou, assise sagement dans l'appartement de son "tuteur", Cheik Doukouré, président de l'association "Programme pour l'aide du développement en Guinée". Depuis la macabre découverte en bordure de route, à deux pas du campus de Luminy, six ans ont passé. Mais ni la douleur, ni le chagrin n'ont disparu. Pis, depuis, Kadiatou a dû fuir la Guinée, son pays d'origine. "Pour protéger ma fille", assure-t-elle la gorge nouée.
Des relations conflictuelles avec la famille d'Ibrahima
À son retour en Guinée, après le meurtre de son jeune mari, Kadiatou affirme avoir été répudiée par sa belle-famille. "Ils disaient que je portais malheur. Ils ont même refusé que je donne le sein à ma fille, raconte-t-elle. Je me suis retrouvée seule. Abandonnée."
Jusqu'ici, c'était Ibrahima qui lui payait ses études. "J'étais au lycée, lorsque l'on s'est rencontrés", précise-t-elle. Elle avait 15 ans. Lui, quelques années de plus. Après leurs fiançailles, Ibrahima s'est envolé pour Marseille afin de poursuivre ses études supérieures en mathématiques appliquées. Le soir, il faisait la plonge dans un restaurant de Borély pour subvenir aux besoins de sa future femme et de sa famille, restées en Guinée. "Il est revenu pour le mariage, puis, il est reparti... poursuit la jeune femme. Je ne l'ai jamais revu."
"Madame Sylla ? On a assassiné votre mari"
Elle apprendra sa mort par un simple coup de fil. Un matin d'avril, le 1er, à l'aube. "Je partais en cours. Mon téléphone a sonné. C'était un de ses collègues du restaurant. Il m'a dit : 'Madame Sylla ? On a assassiné votre mari.'" Tout s'enchaîne alors dans un brouillard épais.
Kadiatou, enceinte de trois mois, vient en France avec sa belle-famille pour rapatrier le cadavre de son époux et retourne au pays, désormais livrée à elle-même. "J'ai dû arrêter mes études et faire des photocopies pour vivre et nourrir ma fille. J'attendais les résultats de l'enquête. Je me disais qu'en France, on allait rapidement trouver qui avait tué mon mari." Mais cinq ans plus tard, elle apprend, presque par hasard, que l'enquête est close. Le juge d'instruction a rendu un non-lieu. Aucun élément probant n'est venu livrer la moindre piste plausible aux enquêteurs de la brigade criminelle.
Un nouveau combat : la garde de sa fille
Au-delà de cette nouvelle désillusion, Kadiatou doit livrer un autre combat, avec sa belle-famille, pour conserver la garde de sa fille. "Pour tenter d'apaiser la situation, un chef de quartier a décidé d'un arrangement "social". La petite irait dans la famille de son père quand elle aurait 7 ans", explique Cheik Doukouré. "C'est la tradition lorsque le couple se sépare, mais moi, j'ai perdu mon mari. Il a été tué", s'indigne Kadiatou. Prise en charge par sa propre famille, Kadiatou a dû également fuir une coutume ancestrale. "Mes propres tantes ont voulu exciser ma fille. Je connais trop les conséquences dramatiques de l'excision. Je refuse que ma fille le soit", lâche-t-elle en éclatant en sanglots.
"Seule" et "dans l'impasse", Kadiatou s'est donc réfugiée en France avec sa fille. À quelques kilomètres des lieux où son mari a été massacré de 31 coups de couteau. Mais "ici", elle espère avoir "une vie meilleure". "Personne ne connaît son histoire. Mais il est vrai que nous sommes un peu comme une aiguille dans l'océan (sic)", s'excuse presque Cheik Doukouré.
http://www.laprovence.com/article/actualites/2285214/marseille-la-vie-brisee-de-kadiatou-apres-la-mort-dibrahima.html
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