Ala barre du tribunal correctionnel de Bordeaux, le propriétaire de la pharmacie du docteur Boudet à Andernos (33) n'en mène pas large. « Quel était le nom de votre logiciel de comptabilité ? » questionne d'emblée la présidente, Caroline Baret. « Winpharma », répond l'apothicaire. La magistrate sourit : « C'est loin d'être le plus performant. Pour frauder, bien sûr. »
Il faut dire que les progrès de l'informatique donnent des sueurs froides aux services fiscaux. Et, ces derniers temps, les logiciels de comptabilité des pharmaciens sont clairement dans leur viseur. En cause : des fonctions plus ou moins discrètes qui, utilisées à « bon » escient, permettent, entre autres, de dissimuler aux impôts une partie de leurs revenus.
Jean-Luc Boudet reconnaît à la barre avoir caché, en trois ans, 43 000 euros de recettes. « J'ai joué, j'ai perdu », avoue-t-il d'une voix à peine audible. « Votre logiciel avait une fonctionnalité facultative de suppression des ventes réglées en espèces », lui lance la présidente.
Difficilement décelable
Le prévenu avait fait disparaître en quelques mois près de 10 663 tickets, tous correspondant à des paiements en liquide. Autant de rentrées qui ont échappé aux services fiscaux, tant sur la déclaration de revenus que sur le paiement de la TVA. Selon l'administration fiscale, le système permettait aussi d'effectuer des correctifs sur l'état des stocks, ce qui avait pour conséquence de rendre la fraude difficilement décelable à partir d'un simple contrôle de routine.
Contrairement à de nombreuses pharmacies touchées par la crise, l'officine d'Andernos était pourtant des plus prospères. « Vous avez des revenus tout à fait cohérents, de la défiscalisation en cours : quelle était l'utilité de cette dissimulation ? » s'étonne la présidente.
« C'était un grand classique dans les pharmacies, c'était même un argument de vente des distributeurs de logiciels. On disait que c'était très simple et qu'il y avait peu de risques », répond le pharmacien.
« Il n'est pas le seul à s'être fait prendre au piège », relève Me Anne-Claire Moyen, pour l'administration fiscale, qui s'est constituée partie civile. De fait, selon le tribunal, dans l'agglomération bordelaise, une dizaine de pharmacies, dont certaines très en vue, ont eu droit à un redressement soigné (mais sans passer par la case tribunal) après avoir abusé des fonctions du logiciel Winpharma.
Il y a quelques semaines, à Angoulême, ce sont deux pharmaciennes qui ont été condamnées à trois mois de prison avec sursis pour avoir fraudé, en utilisant cette fois un logiciel fabriqué par la société niortaise Alliadis.
60 000 euros détournés
Cette société est le seul éditeur de logiciels de pharmacie à faire l'objet d'une enquête judiciaire. Elle est désormais entre les mains de la section de recherches de Poitiers. Les gendarmes s'interrogent notamment sur le couplage de ce logiciel avec un code spécifique, qu'ils soupçonnent de permettre de minorer les chiffres d'affaires de 1 %.
Moins sophistiqué, le logiciel utilisé par le pharmacien d'Andernos ne l'a pas protégé longtemps du regard des limiers du fisc.
« 60 000 euros ont été détournés, c'est un peu moins de 0,5 % de son chiffre, qui est de 14 millions, sur ces trois dernières années. Mis en rapport, c'est pas tant que ça », tente son avocat, Me Hubert Hazera.
Un peu court pour le tribunal, qui a prononcé une peine d'amende de 20 000 euros, dont 10 000 avec sursis. Ils devraient s'ajouter aux 200 000 euros que l'apothicaire malchanceux a déjà dû reverser fissa aux impôts.
http://www.sudouest.fr/2013/03/02/mecomptes-d-apothicaire-982178-7.php
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